Signée le 15 octobre lors du Sommet sur la sécurité maritime et le développement en Afrique organisé dans la capitale togolaise, la désormais Charte de Lomé a déjà convaincu par la mobilisation qu’elle a entraînée. En effet, quelque 52 pays ont été représentés au sommet de Lomé, dont 18 par leur chef d’État, sur les 54 pays que compte l’Union africaine.

Un acte historique…

“Ce geste est  historique dans la vie de notre continent”, a déclaré le président congolais Denis Sassou Nguesso, en conclusion de ce sommet organisé pour lutter contre la piraterie et les trafics de drogue, d’armes et d’êtres humains sur les côtes africaines. “C’est un acte historique. Mais une chose est d’adopter un texte et de le signer, l’autre chose est de le ratifier. S’il y a une réelle volonté de ceux qui ont signé cette charte, ils doivent en principe, une fois arrivés chez eux, mettre tout en œuvre pour que cette charte soit ratifiée, afin qu’elle devienne contraignante”, indique Barthelemy Blede, chercheur en sécurité maritime basé à Abidjan pour l’Institute for Security Studies (ISS). “Il faut qu’au moins quinze États ratifient le texte pour sa mise en application”, précise-t-il, cité par l’AFP.

Cette ratification doit conduire d’abord à créer un fonds spécial “de sécurité et de sûreté maritimes”, ensuite, à faciliter “l’accès aux informations”, un point crucial considéré jusque-là comme le maillon faible de la lutte contre les trafics maritimes en Afrique. Cela a été vérifié à plusieurs reprises sur le terrain où le manque de coopération entre les différents pays s’est révélé désastreux, facilitant aux pirates et aux contrebandiers le passage d’une zone territoriale à une autre sans être inquiétés.

… qui a des limites

Une limite cependant à ce principe de coopération et de transparence informationnelle énoncé dans la Charte de Lomé : il n’y aucune obligation pour un pays à divulguer ses informations, “si cela n’est pas dans l’intérêt de la sécurité nationale”, note ainsi Timothy Walker, expert maritime pour Institute for Security Studies (ISS). “Ce Sommet est un grand pas mais ne doit pas être le dernier”, poursuit le chercheur, qui précise que “beaucoup de travail reste à faire”. Un signe d’espoir : “Nous voyons depuis ces dernières années un intérêt grandissant pour les mers, et notamment pour l’économie bleue et l’argent qu’elles peuvent générer.” Sous-entendu : au-delà de la question sécuritaire pure se profilent des intérêts économiques qu’il ne faudra pas négliger.

Tous les pays présents n’ont pas signé

Pour le moment, cette analyse ne semble pas avoir suffi à certains pays pour signer cette Charte. Ainsi du Cameroun qui avait pourtant organisé le sommet sur la sécurité maritime dans le Golfe de Guinée en 2013. Faut-il le rappeler, le sommet de Yaoundé avait abouti à une démarche de régionalisation des moyens de sécurité maritime et prévoyait la mise en place de deux centres de coordination régionaux. L’un pour l’Afrique de l’Ouest devait être établi à Abidjan mais n’a pas encore vu le jour, l’autre, pour l’Afrique centrale, existe bien à Pointe-Noire mais n’est pas tout à fait opérationnel comme il le faut. Sur les 52 pays représentés au Sommet de Lomé, il y en 21 qui ont imité le Cameroun. Ce sont essentiellement des pays d’Afrique de l’Est, comme l’Éthiopie, Djibouti, l’Érythrée, mais aussi d’Afrique australe comme l’Afrique du Sud, la Namibie, ainsi que de l’océan Indien (Maurice par exemple). Selon Barthélémy Blédé de l’ISS, l’explication vient du fait que le centre de gravité de la piraterie s’est déplacé du golfe d’Aden au golfe de Guinée. “Ces régions sont moins touchées par la piraterie maritime, dit-il. C’est normal qu’ils se sentent moins concernés”, poursuit-il.

La sécurité, un moteur économique

Une réalité est régulièrement revenue dans les propos des participants à ce Sommet de Lomé : “l’économie bleue” ou l’économie de la mer. “L’Afrique doit voir cette richesse comme une opportunité de développement durable”, a ainsi indiqué Uhuru Kenyatta, le président du Kenya, fort de cette information capitale qui est que l’Afrique dispose de 13 millions de kilomètres carrés de zones économiques maritimes et de 17 % des ressources mondiales en eau douce, de quoi chercher à introduire une nouvelle donne dans le transport maritime, les ports, la pêche industrielle…, des secteurs économiques qui échappent au continent et qui, jusqu’ici, sont largement dominés par des intérêts internationaux. Vu que 90 % des importations et exportations du continent transitent par la mer et qu’un nombre important des corridors commerciaux maritimes les plus stratégiques se trouvent dans l’espace maritime africain, on comprend tout l’intérêt que l’Afrique peut retirer d’une meilleure maîtrise de ses espaces maritimes.

Une coopération internationale nécessaire

Et Bathelemy Blédé de faire remarquer que “les pays développés” défendent les côtes africaines, notamment dans le golfe d’Aden ou dans le golfe de Guinée, “pour protéger leurs intérêts”. De quoi montrer qu’en la matière, la coopération internationale est nécessaire y compris sous la forme d’une aide venant des pays les plus riches. “L’Afrique est plus exposée que les autres continents pour la simple raison qu’elle a très peu de compétences et de moyens pour faire face à cette situation”, a d’ailleurs fait observer vendredi le président tchadien et par ailleurs président en exercice de l’Union africaine (UA), Idriss Déby. “Les chefs d’État et de gouvernement africains se sont aperçus au fur et à mesure que la sécurité maritime, cela voulait dire aussi la sécurité tout court sur leur territoire”, a-t-il ajouté, rappelant ainsi l’un des dossiers majeurs qui préoccupent les responsables africains aux prises dans plusieurs pays avec le terrorisme religieux, notamment celui de Boko Haram, des Shebbab en Somalie, et de djihadistes disséminés dans différents groupes dans le Sahel…

Source: Le Point